Chapitre 3 : Leila Thompson

      Les façades de cet immense sanctuaire avaient la couleur rouille, typique des immeubles des quartiers de Soho en Angleterre, cela lui donnait une allure vraiment classe surtout lorsque les premiers rayons du soleil venaient nourrir ces briques d’une étincelante force. Autour de cette façade s’étendaient des kilomètres de verdures, allées et bâtiments moins imposants que le principal. Et au milieu de tout cela, quelque trente mille étudiants et quatre mille professeurs s’activaient dans une course folle. C’était mon monde, plus qu’un lieu de travail, mon sanctuaire.

Un lieu que j’avais appris à maitriser et dompter au fil des années car qu’on se le dise au sein de cette jungle vous n’êtes que du gibier : les professeurs les plus anciens méprisent les petits nouveaux, les étudiants se font la guerre comme s’ils appartenaient à des gangs ; sportifs contre intellectuels, skateurs contre gothiques, pom-pom girls contre troupe de théâtre.

Je me souviendrais toujours de mon tout premier cours où, stressé comme pas deux, je n’avais cessé de boire tant ma gorge était sèche… Le cours suivant ? Je le passai à me dandiner tellement l’envie de pisser fut insoutenable.

Conseil du jour:

Quand tu as une petite vessie abstiens-toi de boire des litres.

Mais, ce premier jour chaotique où se mêlèrent bégaiements, erreurs de salles et retards, laissa place à huit années d’épanouissements professionnels. Je suis rarement aussi démonstratif, en règle générale un demi-sourire vient rompre l’aspect stoïque de mon visage lorsque je suis heureux (naissance, mariage, diffusion d’une nouvelle télé-réalité et coït) mais je dois admettre que mon travail m’excitait au plus haut point. Point d’effusion d’optimisme s’il vous plait, ne vous méprenez pas… Je ne suis pas de ces professeurs qui vivent sur un nuage, persuadés d’être les messagers du savoir, investis d’une mission céleste. Que nenni ! Néanmoins je permettais à une poignée de jeunes d’élargir leurs connaissances littéraires, de s’épanouir et de trouver leur voix. Une poignée seulement. En règle générale cette poignée d’élèves s’était réservé les trois premiers rangs de l’amphi. Les quinze autres rangs accueillaient cancres, illuminés, redoublants pas plus motivés que l’année précédente, filles et fils à papa présents pour faire plaisir à leurs parents et qui dilapidaient l’héritage, le soir venue, en alcool et autres substances. Substances qui auraient pu, comme ce fut le cas pour HUXLEY auteur du Meilleur des Mondes, d’en faire de grands écrivains. En vain…

Cela faisait seulement à peine quarante-huit heures que je venais de quitter ce monde et pourtant au milieu du hall d’entrée fut déposée une gerbe de fleurs blanches et bleues pastel, enveloppée d’un ruban sur lequel on pouvait lire « Repose en paix, tes collègues de travail ». De manière moins solennelle, quelques bouquets, fleurs et petits mots notés à la hâte sur des bouts de papier furent posés autour. L’annonce de ma mort fit donc le tour de la faculté à la vitesse de la lumière… Rachel avait-elle mis la main à la pâte pour que l’info soit aussi vite relayée ?

Bien que ma disparition ait troublé tout ce petit monde, le cours de la vie suivie son cours sur le campus. Une fois la minute de silence bouclée, chacun revint à ses occupations. Tous sauf une élève : Leila Thompson. Assise sur un banc, le regard fixé sur le ciel où se baladaient des nuages épars. Elle était si belle, une de ces beautés que l’on ne croise qu’une fois dans sa vie. De grands yeux verts en amande et des cils si longs et épais qu’aucun maquillage n’était nécessaire pour les embellir, quelques taches de rousseur venaient illuminer ses joues et une bouche… une bouche fine et charnue à la fois légèrement brillante grâce à un gloss qu’elle s’appliquait toutes les heures. Ses cheveux auburn tombaient sur ses épaules et venaient épouser sa poitrine telle une déesse grecque. Leila n’avait pas besoin d’en faire des tonnes, sa beauté naturelle parlait d’elle-même. Elle devait mesurer dans les 1 mètre 70 et peser tout au plus 50kg. Contrairement aux autres étudiantes, elle n’avait pas l’air de sortir tout droit d’un clip de Snoop Dog ou de s’apprêter à aller faire le trottoir (ce qui revient finalement à la même chose). Son look bohème lui conférait mystère et sensualité. Ce jour-là, sur ce banc elle fut vêtue d’une jupe longue noire taille haute, un débardeur blanc fluide très échancré sous les aisselles, des bottines dont l’usure laissait deviner qu’elle les avait dans son placard depuis de nombreuses années et pour parfaire ce look une capeline noire posée négligemment sur la tête. En plus de ce physique à faire chavirer un homo, Leila était une de mes meilleures élèves avec un don indéniable pour l’écriture que je décelai dès son premier cours.

Ce jour-là, je décidais de laisser de côté l’éternelle présentation du dit professeur et de surprendre mes nouveaux élèves en interagissant directement avec eux. Une fois qu’ils furent tous assis, je pris une craie blanche et écris sur l’immense tableau noir:

« L’univers, est un poème de Dieu, c’est-à-dire qu’il est parfait. Mais l’Homme, aveugle aux œuvres de Dieu, ne voit pas cette perfection. C’est au poète, qui a l’intuition de cette perfection, grâce à son imagination créatrice, de la faire connaître à l’humanité.»

Je me retournai alors face à l’assistance à moitié endormie et leur demandai ce que cela leur inspirait. Un silence de mort envahit alors la pièce. Jusqu’à ce qu’une jeune demoiselle, lunette vintage ronde XL et chignon vissé sur le haut du crâne, prit la parole. C’était Leila. Cette jeune fille qui, au premier abord, paraissait si frêle et fragile se transforma en une lionne prête à marquer son territoire et s’imposer. Elle se lança alors dans une explication hallucinante tant au niveau de la connaissance de l’écrivain, Edgar Allan Poe, que de l’explication de la citation. Dès les premiers mots qui sortirent de sa bouche je fus subjugué, choqué, troublé, sous le charme. Je tombai sur ma chaise et me tus durant les sept minutes et dix-sept secondes que dura son monologue. À la fin je ne pus qu’admettre qu’elle avait réussi, la lionne venait de me montrer qu’elle serait l’Elève avec un grand E. Celle en qui j’allais mettre tous mes espoirs, celle que j’allais pousser à se dépasser. Si la faculté était mon sanctuaire, l’amphithéâtre N°13 devint le bastion de Mademoiselle Thompson.

Elle avait l’air perdue, seule et nostalgique au milieu de cette étendue verdoyante, assise sur son banc. Un papier à la main et un stylo mâchouillé dans la bouche. Perplexe, son visage fut différent de celui que j’avais habitude de voir. La lionne était devenue lioncelle (un terme certes non utilisé depuis 1838 mais qui lui allait à ravir). Soudain elle se leva, et se dirigea vers le hall. Elle sortit de son sac, deux fois trop grand, une rose qu’elle déposa entre les bouquets et les petits mots et prit le chemin de la sortie. Une fois sortie de l’enceinte de l’établissement, elle jeta son papier roulé en boule dans une poubelle. Sur ce mot, on aurait pu lire :

« Je ne t’oublierai jamais, tu feras toujours partie de ma vie, merci pour tout ce que tu m’as apporté… Je me suis finalement décidé pour les prénoms… Virginia pour une fille et Allan pour un garçon »

…référence à Edgar Allan Po et son épouse.

M.D.P

prochain chapitre : Mon enterrement


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