Chapitre 2 : Mon quartier

 

      Mon corps fut découvert quelques heures après ma mort par Jeanne une femme de ménage que nous employons deux demi-journées par semaine, le lundi après-midi et le jeudi matin. Bon Dieu ! Moi qui me trouvais si supérieur à elle, professeur de littérature dans une université de renom contre titulaire d’un C.A.P récureuse de chiottes. Je me retrouve là étalé sur le sol, le teint livide, les yeux révulsés, le corps gelé, raide, la tronche dans une flaque de lait.

Le SAMU est arrivé vingt minutes après que Jeanne les ait appelé. Heureusement que mon cœur avait cessé de battre depuis un moment et que je ne comptais pas sur eux pour regagner le monde des vivants.

           Note pour moi-même :

Dans ma prochaine vie, habiter à moins de 5min (embouteillages compris) d’un hôpital ou tous organismes pouvant me sauver d’une mort certaine.

Au moment où les sirènes se mirent à retentir dans les allées du quartier, le monde s’arrêta de tourner, on put ressentir une sorte de flottement comme si on venait de presser le bouton pause de la télécommande et que l’image s’était figée sur le téléviseur. Chacun stoppa ce qu’il était en train de faire et sorti sur son perron. Madame Rosburry avec un récipient en inox et un fouet à la main, mon ami John simplement vêtu d’un caleçon laissant ainsi apparaitre son corps d’ancien sportif de haut niveau et la voisine du numéro 2046 fraichement débarquée dans la banlieue, sa fille agrippée à sa jambe et un nouveau-né dans les bras. Tous venaient de voir leur petit quotidien chamboulé.

Le premier à avoir vu l’ambulance débarquer dans notre petit monde parfait, où toutes les pelouses sont impeccablement tondues et les haies peintes d’un blanc immaculé, fut Monsieur Eldenstein dont la maison marquait l’entrée dans le quartier. Un jeune retraité qui passait huit heures par jour à scruter la moindre mauvaise herbe, à tailler et retailler ses arbustes, à vérifier le niveau d’huile, la pression des pneus et l’état de la carrosserie de sa BMW qui dormait littéralement dans son garage. Bref, un vieux con qui n’avait pas encore digéré le fait qu’il était professionnellement fini et qu’il allait devoir réapprendre à vivre ou plutôt apprendre à attendre que la mort vienne le chercher. Il faisait partie de ces gens qui n’ont cessé de se plaindre de travailler quarante cinq heures par semaine et qui sont incapables une fois à la retraite de souffler, se laisser vivre, voyager, trainer devant la tv et zapper les quelques trois cents chaines du câble, voir des amis (certains devaient bien encore être en vie) ou profiter des plaisirs monnayés qu’offrent certains boulevards tard le soir.

Néanmoins c’était un bon voisin, cordial, toujours prêt à rendre service et qui ne s’immisçait jamais dans la vie des autres. Un de ces voisins dont on ne sait au final que très peu de choses…Directeur de banque à 32ans, père de quatre enfants, veuf à 53 ans, passionné d’aéronautique, un chat prénommé Golden. Pour la première fois en huit ans, le visage mono expressif de Monsieur Eldenstein laissait paraitre une émotion : l’inquiétude. Il alla reposer sa griffe piocheuse à trois dents dans son garage puis pris l’allée centrale, guidé par la sirène de l’ambulance, sans savoir ce qui avait bien pu se passer, ni où l’ambulance se rendait.

Si le premier adjectif qui me vint pour qualifier Monsieur Eldenstein fut discret, tout un florilège de synonymes de fouineuse vint tambouriner dans ma tête pour évoquer Rachel. La Rachel. Celle que les femmes détestent, que les enfants craignent, que les maris abominent et que le postier fuit comme la peste… La Rachel, celle par qui tous les ragots et les rumeurs circulaient. Et comme un heureux évènement n’arrive jamais seul, en plus d’avoir cette pourriture dans mon quartier, elle fut ma voisine d’en face. Autant vous dire que dès lors que l’ambulance se gara devant chez moi et que les secouristes entrèrent, guidés par Jeanne, mon avis de décès fut déjà rédigé, plié, mis dans une enveloppe et posté. La vie est ainsi faite, des gens naissent avec des dons comme le chant, le dessin ou encore des prédispositions physiques qui en font de grands champions. D’autres encore héritent d’un cerveau aussi gros qu’une pastèque, finissent astrophysicien et décrochent un prix Nobel. Et bien Rachel détenait elle aussi un don. Celui d’exaspérer tout le quartier. Voire toute la ville ! Et c’est donc en parfaite fouineuse qu’elle traversa la route qui séparait nos maisons, son portable vissé à l’oreille, afin de diffuser les informations en temps réel.

Adepte du nombrilisme je n’aurais pu rêver d’une meilleure mort. Quoi de mieux qu’une sortie en grande pompe sur une civière recouvert d’un drap et ce devant la quasi-totalité de mes voisins venus assister à ma dernière représentation. Quel tableau, quelle dramaturgie, cela aurait fait une superbe scène de cinéma si elle avait été dirigée par Woody Allen.

          Deuxième note pour moi-même :

Arrêter d’être si prétentieux, vaniteux, égocentrique vu la destination que je m’apprête à rejoindre

Tout juste licencié à cause des ravages de la crise, mon voisin David était clairement aigri et mon comportement superficiel participait au développement anormalement rapide de son ulcère ! Bref, je l’exaspérais. Bel homme, situation stable, propriétaire d’une maison, deux investissements locatifs dans un quartier universitaire, une femme sublime, un fils… manquait plus que le chien pour parfaire la caricature. Je sentais bien son regard me fusiller lorsque je partais au travail le matin glissé dans un nouveau costume griffé, je le vis caché derrière ses rideaux lorsque l’on vint me livrer et m’installer ma nouvelle cuisine made in Italie et que dire des réceptions que j’organisais à la maison avec mes collègues de travail où le champagne coulait à flot. Riche je ne l’étais surement pas mais je menais une vie plus que confortable qui pouvait, je le concède, en énerver plus d’un. Et pour ne rien gâcher, j’avais la fâcheuse habitude de laisser croire, à qui voulait bien l’entendre, que je n’avais jamais été dans le rouge à la banque. Foutaise !

Je vivais bien au-dessus de mes moyens, j’aimais flamber mais qu’importe car comme disait ma grand-mère « on ne t’enterra pas avec ton coffre-fort ». Cette phrase prend vraiment tous son sens aujourd’hui…

Malgré tout, je vis chez David une profonde tristesse, trop fier il ne versa aucune larme contrairement à Madame Rossi, agenouillée et hurlant tel une veuve italienne, mais on pouvait distinguer que ses yeux brillaient légèrement…

De la peine ? Je ne pense pas… David me parut à cet instant soucieux. Soucieux de me voir sortir de chez moi les deux pieds devant sans avoir trouvé la paix intérieure. Car si David avait exercé 7 ans dans un cabinet de recrutement, ce sont cinq longues années de psychologie qu’il avait suivi avec brio à la fac. Et on ne la fait pas à un psy. Il lira toujours en vous comme dans un livre ouvert. Pourtant nous avions dû échanger en tout et pour tout qu’une dizaine de mots tel que « bonjour », « bonne soirée », « saluez votre épouse de ma part » et le fameux « il n’y a plus de saison » (expression utilisée par les plus de soixante ans quand on n’a rien à se dire).

Malgré cela, il avait vu que quelque chose clochait…

Et lorsque ma dépouille entra dans l’ambulance, il lâcha un petit rictus et se dit à lui-même : « Sacré sortie… putain d’égocentrique mal dans sa peau ! »

C’est sur cette analyse freudienne que je quittai ma belle maison, laissant derrière moi mes voisins. Je vis pour la dernière fois chacune des maisons du quartier, ces grands platanes qui marquaient cartésiennement les allées, les vélos d’enfants sur les pelouses, les balançoires animées par une très légère brise. Je sentis l’odeur de chacune des plantes et fleurs qui rendait ce quartier si beau ; rosiers, jasmins et autres bégonias. Au loin se dessina la maison de Monsieur Eldenstein, ce qui signifiait que je me rapprochais inexorablement de la « sortie ». Du point de non-retour. Me dirigeant ainsi vers ma nouvelle et dernière demeure…

M.D.P

prochain chapitre : Leila Thompson


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