Chapitre 5 : Thimotey

 

Les premiers rayons du soleil vinrent éclairer la pièce, trois des murs étaient peints en blanc et le quatrième avait été tapissé en bleu dragée, sur ce pan trônait le lit en osier blanc assorti à l’armoire ainsi qu’à la table à langer. La chambre était nickelle, propre, fidèle à la page numéro 156 du magazine de décoration. Seules deux ou trois peluches et jouets négligemment posés venaient ternir la perfection de la pièce. De beaux rideaux gris tourterelle apportaient de la chaleur et du caractère à cette pièce que Gabrielle avait imaginé et pensé dans les moindres détails. Chaque soir, je tirais ces fameux rideaux pour plonger la pièce dans la pénombre afin que Thimotey s’endorme. Ce rituel me procurait à chaque fois le même plaisir, celui d’être père. Ce qui fut, je dois l’admettre, loin d’être gagné d’avance… Lorsque Gabriella m’annonça qu’elle était enceinte, je ne sauta pas au plafond mais le sol se déroba sous mes pieds et je tomba dans les abysses.

Je venais de finir une journée de boulot éreintante, c’était la période des partiels à l’université. Et entre les corrections et les sessions d’oraux je passais énormément de temps dans mon sanctuaire qui était plus devenu un de ces locaux où sont tournés les Big Brother et d’où personne ne peut sortir sans que les téléspectateurs ne le décident. Vers 15h alors qu’une pile de copies à corriger m’attendait, je reçu un SMS de Gabriella :

Mon pauvre chéri tu travailles trop…

Ce soir je m’occupe de tt…

Petit repas en amoureux et grosse surprise

XOXOXO

À mon arrivée, une table magnifiquement dressée m’attendait, la lumière était tamisée et quelques bougies avaient été déposées aux quatre coins du salon. Gabriella fit son entrée dans la pièce vêtue d’un ensemble guêpière / porte jarretelle rouge comme je les aime, elle vint s’asseoir sur le fauteuil me fit signe de la rejoindre. Elle sorti alors, de sous le coussin, un paquet cadeau dont je reconnu de suite à la forme qu’il s’agissait d’un stylo. Mais en l’ouvrant je découvris un test de grossesse positif. Gabriella ne me laissa pas le temps de dire quoi que ce soit, les yeux remplies d’étoiles elle me murmura cette phrase :

« C’est le plus beau jour de notre vie… Baise moi car pendant les huit prochains mois c’est «ceinture !»

Je la pris dans mes bras, la serrant si fort que j’aurais pu lui casser les côtes. À ce moment précis je ne pensais plus à rien, je ne vis qu’un fond noir. Ce black-out dura une trentaine de secondes mais me parut une éternité. Quand je repris mes esprits, je ne sus quoi dire alors je lâchai le plus beau sourire que je n’avais jamais offert à ma femme et nous nous lançâmes dans une nuit de sexe d’anthologie. Voilà comment Andrew JAMES règle ses problèmes ; il baise au lieu de parler.

Avoir un enfant ? J’y avais déjà songé. L’idée ne me déplaisait pas. Bien au contraire. J’aime les enfants. À de nombreuses reprises j’ai proposé à mes cousines de garder leurs gosses lorsque jetais plus jeunes. On disait alors de moi que j’avais une incroyable fibre paternelle, une patience à toute épreuve et que je ferais un père génial. En réalité, m’occuper d’un nourrisson, un bébé ou même un petit enfant ne m’inquiétait nullement mais quel père ferais-je avec un pré-ado qui finirait par devenir un adolescent, un adulescent qui laisserait place à un adulte ? Il ne faut pas se leurrer, je suis nul en ce qui concerne les relations humaines. Ma relation avec mon père a été chaotique, au contraire jetais trop attaché à ma mère, j’aimais de tout mon cœur mes grands-parents mais avec moi ils étaient confrontés à un mur tant j’avais du mal à m’exprimer. Avec les gens de mon âge, la situation n’était guère plus glorieuse. Disons qu’en parfait lunatique que jetais j’oscillais entre «meilleur pote de l’année/ super confident/ pitre de service et grosse tête de con »… Et je ne pouvais prendre le risque d’être une grosse tête de con aux yeux de mon enfant. Je ne souhaitais pas répéter l’histoire et être une copie du père que j’avais moi-même eu.

Gabriela, elle, était une de ces femmes pour qui son apparence physique comptait plus que tout, régime à l’année, coaching sportif trois fois par semaine, épilation au laser, maquillage de diva hollywoodienne réalisé au saut du lit et brushing parfait. Je suppute d’ailleurs qu’elle soit à elle toute seule (avec l’aide de ses bombes de laques) responsable du trou dans la couche d’ozone. Une nombriliste quoi! Et pourtant elle rêvait de ce rôle de mère car elle avait un surplus d’amour a donner. Oublier la fanatique des régimes à gogo et autres séances de zumba. Ma femme devint au fil des semaines qui suivirent l’annonce de sa grossesse une de ces femmes qui achètent des vêtements pour bébé alors que l’on ne sait pas si c’est un garçon ou une fille, qui li et se documente avec tous les livres en rapport avec la grossesse ou l’accouchement. Cependant, même enceinte, elle restait si coquette. Impeccablement coiffée, toujours maquillée et moulée dans des robes mettant en valeur ce si beau ventre. Elle était radieuse aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur. Une femme épanouie grâce à ce rôle de mère qui se profilait.

Alors pour ne pas passer pour un monstre sans cœur, je devins moi aussi (en façade) un super – futur papa – tout excité et trop pressé de voir les parties intimes de sa femme se rompre pour laisser apparaitre une crevette toute gluante et ensanglantée. Gardant toutes mes craintes enfouies quelque part où seule ma conscience avait les clefs. Le jour J arriva. Et évidemment mes craintes s’envolèrent, la peur laissa place à un amour inconditionnel et ce fut comme si une nouvelle vie débutait. Une vie où le centre du monde cessa d’être Andrew mais Thimotey Adam JAMES. Je devins alors moi aussi ce fameux papa gallinacé. Gabriela et moi avions donné la vie.

Chaque soir en tirant ses rideaux je songeais à cette première fois ou je l’avais pris dans mes bras, à cette première nuit après l’accouchement où, épuisée, Gabriela m’avait laissé dormir avec lui dans le lit mis à disposition du père dans la chambre d’hôpital. Je dormis à peine quelques heures tant j’avais peur de lui rouler dessus, chacune de ses inspiration et expiration me tirait de ce sommeil si léger. Cette fameuse nuit durant laquelle il ne lâcha pas mon index.

On dit qu’un enfant ne développe sa mémoire qu’à partir de trois ans, cependant je jurerais voir une profonde tristesse dans ses yeux depuis mon décès. Ses éclats de rire ont laissé place à quelques sourires expéditifs qu’il lâche de temps en temps pour satisfaire son auditoire. Je le vois songeur comme si tous les maux du monde entier étaient enfermés dans ce tout petit corps, sans qu’il ne sache quoi en faire.

Plutôt matinal, j’avais pris l’habitude de me lever dès que résonnaient ses premières vocalises dans la maison et je laissais Gabriella, dans le lit, profiter de quelques minutes de répit avant sa journée de desperate house-mum-wives. Et à chaque fois que j’ouvrais la porte de sa chambre, il était là debout dans son lit accroché aux barreaux, un sourire béat et les yeux rieurs. Après lui avoir changé la couche nous finissions systématiquement sur le canapé, devant un dessin-animé, sa petite tête calée contre la mienne. Captivé par le spectacle que lui offrait la télévision il n’en perdait pas pour autant l’habitude de vérifier si mes yeux étaient bien ouverts et si j’avais le malheur de m’assoupir il me rappelait à l’ordre !

« Papaaaaaaa ?!!?! »

Comme je remercie le ciel (ironique cette expression dans ce contexte !) d’avoir pu profiter de ces moments privilégiés avec mon fils et comme je m’en veux de ne pas en avoir vécu plus. Trop obnubilé par mon travail, trop soucieux de passer des heures à la salle de sport pour ressembler à ces bombasses protéinées en une de Men’s Health ou tout simplement trop égoïste. Nul doute que je l’aimais. Je pense même l’avoir aimé à la seconde ou la sage-femme me la mis dans les bras. Simplement j’étais moi, le Roi des Cons. Le Roi des refoulés des sentiments.

Avec le temps mon fils apprendra à vivre sans son père, il passera par des phases difficiles, à pleurer en regardant les photos de famille du temps où j’étais encore présent, il aura certainement une adolescence plus chaotique que ce qu’elle aurait dû être et sa mère en fera les frais, quelques dates anniversaires seront des journées difficiles et des caps à surmonter. Et puis un jour cette peine et cette rage laisseront place à l’acceptation. Un modèle paternel viendra prendre ma place, son parrain, le petit copain de sa mère, un ami plus âgé, un professeur… Qui sais-je? Mais à ce moment-là, mon fils pourra penser à moi sereinement, sans fondre en larmes et sans en vouloir au monde entier. Il ne m’aura pas oublié, il aura simplement appris à vivre avec sa tristesse. J’espère que ce jour ne tardera pas trop.

Honorer Dieu, voilà ce que signifie Thimotey en grec… Je ne sais pas s’il honorera son Dieu, ni même s’il sera croyant mais ce que je sais c’est que moi, son père, j’ai été honoré de contribuer à donner la vie à ce petit bout d’homme qui aura, je le souhaite, une vie des plus merveilleuses…

 M.D.P

prochain chapitre : Ma grand-mère


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