Chapitre 4 : Mon enterrement

 

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Madame Gabriela JAMES, son épouse

et

Thimotey, son fils

ont la tristesse de vous faire part du décès de

Monsieur Andrew JAMES

Survenu le 2 Octobre 2013 à l’âge de 34 ans.

La cérémonie religieuse aura lieu le 6 Octobre 2013 à 14h00 en l’église de La Rédemption.

L’inhumation aura lieu au cimetière du 5ème District à 15h40.

La famille remercie d’avance toutes les personnes qui s’associent à son deuil.

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Putain quel choc !

Bien sûr, lorsque l’on met un pied sur Terre on sait pertinemment qu’un jour ou l’autre on le quittera, le teint bleu repêché dans un lac, allongé dans son lit après une sieste qui se serait « légèrement» éternisée ou encore poignardé et baignant dans son sang dans une ruelle d’un quartier mal famé. Cependant lorsque votre nom figure dans la rubrique nécrologique, vous comprenez que tout est bel et bien terminé et que vous n’êtes vraiment plus que poussière.

L’église fut décorée pour l’occasion par ma mère et Gabriela qui avaient trouvé, grâce à leur chagrin réciproque, la force de s’entendre sur le choix des fleurs. L’allée menant à l’autel fut donc parsemée de lys et d’œillets accrochés sur les chaises ; et au bout de cette allée mon portrait dans un cadre 59 par 42cm. Je portais une chemise noire aboutonné jusqu’à l’avant dernier bouton, un large sourire dévoilait une dentition parfaitement blanche accentuée par un teint halé. La vue de cette photo me fit faire un bon de trois ans dans le passé, sur l’atoll de Noonu aux Maldives. Ma femme et moi y avions organisé un voyage de noces de rêves où se mêlèrent détente, sexe, luxe, volupté, sexe et pures moments de joie. Nous avions organisé cette escapade de sorte à être sur l’ile pour la Saint Valentin, l’hôtel avait organisé pour l’occasion une soirée sur la plage. Champagne à volonté, fruits de mer iodés à souhait et des poissons plus beaux et délicieux les uns que les autres. Un cadre idyllique pour un couple plus amoureux et soudé que jamais. La nuit était tombée depuis une petite heure, la lune se reflétait dans l’eau. Légèrement éméchés, c’est une avalanche de déclarations d’amour enflammées qui vinrent clôturer cette soirée. C’est ici dans ce lieu paradisiaque, en ce soir de saint valentin que fut prise cette photo qui aurait dû finir dans un album intitulé « Notre voyage de Noces » et qui resta finalement sur notre PC dans un renommé « VACANCES » où se mélangeaient entre autres des photos de week-end end prolongés entre amis, une folle semaine de débauche à Ibiza pour nos premières vacances à deux ou encore les deux semaines passées sur la côte atlantique avec mon frère et sa parfaite petite famille. Le terme soporifique résume parfaitement ce séjour.

Quelle ironie, la liste des « invités » ressembla à s’y méprendre à celle de mon mariage, le total look noir en plus.

13h25 : la place de l’église commença à se remplir. Les premiers à arriver furent les membres de ma famille, ma sœur Charlie, mon frère Stanley et sa femme, mon oncle Franck et sa femme Katherine accompagnés d’Alexandre leur fils ainé; ma tante Carole veuve depuis trois mois était venu avec ma grand-mère et pour finir ma tante Valery, ses trois enfants et sa petite fiole de whisky dissimulée dans la poche intérieure de sa veste. D’autres cousins, oncles et tantes du coté de mon père vinrent aussi. Je n’en reconnu aucun. Tous sur leur 31, la photo officielle (s’il y en avait eu une) aurait était parfaite! Ma famille avait au moins la qualité d’être classe et digne en toutes circonstances. Surtout lorsque la meute se retrouvait en public car aussi loin que je me souvienne, je n’ai jamais assisté à un repas de famille, Noël ou anniversaire qui ne se finissent en règlement de compte accompagnés de cris et de larmes. Le tout accompagné de whisky et de Prozac… Et au milieu de tout cela mes grands-parents restaient stoïques, silencieux et très certainement déçus. Déçus par cette progéniture complètement dégénérée. Je pouvais lire dans leurs yeux la désolation…

«Mais pourquoi la pilule n’existait pas à notre époque?»

13h42 : avec l’arrivée de mes amis et voisins la petite place de l’église fut vite remplie. Se succédèrent dans l’ordre d’arrivée mes collègues de travail, Monsieur Eldenstein, La Rachel, les Peterson, John, Madame Rossi, Madame Rosburry entre autres, ami(e)s, anciennes connaissances avec qui j’avais « renoué » via les réseaux sociaux, mon banquier, certains élèves, Sonia la boulangère, des amis de Charlie, le buraliste, le postier, Leila, Ali et l’équipe du restaurant CHEZ ALDO où je déjeunais au minimum deux fois par semaine et des gens que je ne connaissais pas, sûrement des amis de mes parents.

13h50 : le corbillard fit son entrée, la foule se déplaça pour lui faire place. Gabriela et mes parents en sortirent. Comme à son habitude ma femme fut sublime moulée dans un col roulé noir impeccablement rentré dans une jupe taille haute en cuir qui s’arrêtaient aux genoux. Adepte des talons de 15cm pour paraitre moins petite à mes côtés, elle opta pour des escarpins moins vertigineux…les talons ne lui auraient de toutes façon pas servi à grand-chose puisque je fus allongé… Je reconnu le manteau Burberry très sixties que je lui avais offert suite à une augmentation obtenue en septembre.

13h58 : la place se vida, le cortège entra dans l’église. Monsieur Eldenstein fut le dernier à rentrer. Ma famille avait décidé à l’unanimité que ma dépouille ne serait pas portée sur les épaules des croque morts, pour eux ce geste symbolique ne devait pas être fait par des inconnus. C’est pourquoi mon père, Stanley, Alexandre, mon meilleur ami Tarek, Raphael l’ainé de Valery et Valentin le mari de July mon amie d’enfance, me menèrent jusqu’à l’autel au son de la chanson « The Story ». Chanson choisie par Gabriella, une faute de gout selon moi car cette chanson est notre chanson. Premier slow, ouverture du bal de notre mariage, procréation de Thimotey. Autant dire que si cette chanson lui avait toujours rappelé des moments intenses, joyeux et indélébiles tant ils étaient beaux ; elle serait dorénavant associée à ce triste 6 octobre.

Durant la cérémonie, je ne pus lâcher Valentin des yeux. Cet homme que je ne connaissais finalement pas, que je présentais systématiquement comme le mari de ma meilleure amie comme s’il n’était réduit qu’à ce titre, était en train de pleurer toutes les larmes de son corps. Les yeux levés vers le plafond en voute, il se remémora notre rencontre dans ce restaurant japonais que July adorait et que Gabriela et moi détestions, ce week-end à Barcelone ou nous avions bu comme des trous, son enterrement de vie de garçons où il sniffa comme un junkie, le cocktail de son mariage où je pris la parole et fis couler le mascara de July, et ce fameux Jeudi 2 Octobre 2013 où il apprit mon décès. A cet instant tout lui revint en mémoire, il revit July préparer le repas tout en buvant un verre de Saint Joseph, la sonnerie du téléphone retenti, elle se rendit dans le couloir pour répondre. July laissa tomber le verre qui se brisa sur le sol. A ce moment-là, Valentin comprit que quelque chose de grave venait de se passer. Il se souvint que July ne pleurait pas, appuyée contre le mur, le combiné à la main, elle se tourna seulement vers lui avec ce regard triste annonciateur de mauvaise nouvelle et avec une voix étranglée, elle lâcha tant bien que mal mon prénom.

Paroles du prêtre, prières et hommages des proches se succédèrent jusqu’au moment fatidique où la foule se leva, se mis en file indienne dans l’allée centrale et vint me dire au revoir. Les plus croyants firent un signe de la croix comme mon voisin David suivi de sa femme, d’autres moins croyants mais gênés le firent aussi…à l’envers, Tarek caressa la plaque dorée ornant mon cercueil, mes tantes m’embrassèrent et tous allèrent présenter leurs condoléances à ma femme et mes parents. Un simple mot, des étreintes pour les plus intimes, un simple sourire compatissant pour mes élèves plus pudiques et beaucoup de larmes pour tout le monde.

Je refis un petit voyage jusqu’au corbillard sur les épaules de mes proches et réalisa mon dernier voyage parmi les vivants dans le carrosse de la mort. Je vis pour la dernière fois ce monde qui m’avait accueilli une nuit glaciale de Décembre 1982…ma mère me donnant le sein dans ma chambre simplement éclairée par la veilleuse, cette année quatre-vingt-quatre ou mon père m’apprit à nager, les week-end passés chez mes grands-parents avec mes cousins, mon premier baiser avec Barbara Delfino, le jour où elle me plaqua, ma première cigarettes, l’obtention de mon BAC, mon premier joint, le décès de mon grand-père, le jour où je perdis ma virginité avec Anna Delfino (la sœur de Barbara), le SMS m’annonçant qu’elle me plaquait, mes soirées étudiantes déjantées, le jour où je rencontra Gabriella, notre mariage, quand Thimotey dit « papa » ou encore le jour où mon regard a croisé celui de Leila Thompson dans cette fameuse amphi N°13.

C’est avec cette image en tête que je fus déposé six pieds sous terre et recouvert de terre et de gravas pour un repos bien mérité après un passage sur terre certes trop court mais bien rempli. Parsemé de moments forts, de joies, de peines, de doutes, d’ennui, de crises, d’amour, de regrets, de réussites, d’échecs et de moments tous simplement banals… En résumé, tout ce qui fait une vie.

M.D.P

prochain chapitre : Thimotey


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